Les tensions internationales nous rappellent étonnamment la période de la guerre froide. La très haute altitude est en effet devenue une zone de confrontations entre puissances militaires via les ballons-sondes météorologiques, ou plutôt devrait-on dire « espions », les missiles intercontinentaux, les missiles hypersoniques et les drones planeurs spécifiquement conçus pour y évoluer.

L’épisode des ballons espions chinois survolant les États-Unis en 2023 a permis de redécouvrir l’usage des ballons aérostats à des fins militaires. Historiquement, les premiers ballons utilisés durant les guerres du XIXe siècle étaient des moyens d’observation dans la profondeur du dispositif adverse. La Première Guerre mondiale vit quant à elle le déploiement de ballons captifs. Les prémices de l’aviation militaire fournirent aux belligérants des moyens de lutte permettant de les détruire assez facilement du fait de leur fragilité et du risque d’incendie. D’ailleurs, devant tant de pertes enregistrées chez les observateurs, le parachute fit son apparition. Des ballons furent aussi utilisés pour les mêmes missions lors de la Seconde Guerre mondiale.

Le renouveau des aérostats militaires

L’activité de renseignement sur les capacités ennemies est le plus bas niveau d’action hostile que l’on peut constater entre puissances militaires. L’utilisation de nouveaux vecteurs pour le transport de divers capteurs s’inscrit dans cette logique de renseignement permanent et tous azimuts. L’expérience acquise dans leur utilisation à des fins d’études scientifiques (lancement de ballons-sondes), et plus particulièrement météorologiques a grandement facilité leur adaptation à des fins de captation de renseignements. À l’aire des aéronefs et drones furtifs, qui aurait pensé que le ballon, certainement le système volant avec le plus bas niveau de technologie, retrouverait une utilité militaire ?

C’est dans cette optique offensive que le ballon fut remis au goût du jour dans le cadre d’une lutte asymétrique. Ainsi, des groupes armés palestiniens utilisèrent à de nombreuses reprises et en masse des ballons gonflés à l’hélium et transportant une charge incendiaire pour déclencher des incendies sur le sol israélien.

Plus récemment, dans le cadre de l’opération spéciale, les forces russes en Ukraine tentèrent, sans grand résultat, de saturer le système de détection radar ukrainien en déployant dans leur espace aérien des myriades de ballons transportant un réflecteur radar de fabrication artisanale. Cette tactique, bien qu’ingénieuse et peu coûteuse, n’a pas porté ses fruits du fait de la modernisation du dispositif de surveillance radar ukrainien qui a pu aisément discriminer ces leurres d’une véritable menace. La tactique russe avait cependant un objectif secondaire, celui de provoquer un allumage des radars de chasse des systèmes antimissiles ukrainiens, permettant alors leur repérage en vue de destruction. Cette manœuvre, si elle avait fonctionné, aurait pu autoriser les forces russes à reprendre le contrôle de l’espace aérien dans la zone de contact.

Utilisations documentées

Cette tactique de provocation a déjà été utilisée en 2014-2015 par les forces chinoises qui lâchèrent en nombre de curieux aérostats aisément détectés par les radars américains. Des pilotes de la Navy ont été envoyés au contact et ont constaté l’absence de dispositif électronique suspendu au ballon. L’analyse des images collectées à cette occasion a permis de constater la présence d’un cube inséré dans le corps du ballon. Ce réflecteur radar représentait probablement la surface équivalente radar (SER) des avions furtifs chinois de l’époque. Ces ballons n’avaient d’autres objectifs que de tester les capacités du système de surveillance radar protégeant le sol des États-Unis.

Autre utilisation documentée côté ukrainien, l’usage de ballons comme vecteurs de répétiteur d’ondes qui agissent comme des relais radio et permettent le maintien de la communication à longue distance entre le drone et son pilote. Cette technique expliquerait pour partie les frappes dans la profondeur du territoire russe qui s’inscrivent dans la stratégie ukrainienne dite des « mille entailles », consistant à attaquer les infrastructures militaires et civiles russes, plus particulièrement les raffineries, afin de saper le potentiel offensif ennemi.

Plus récemment, ce fut l’épisode des ballons chinois survolant des zones sensibles du territoire américain qui a replacé le ballon militaire dans sa mission initiale de renseignement. Ces incursions dans la très haute altitude de l’espace aérien américain, que l’on peut considérer comme légale du fait d’absence de réglementation internationale, n’ont pas été appréciées par les autorités américaines du fait de leur peu de discrétion. Combinées à des tensions commerciales et géopolitiques persistantes avec la Chine, elles ont amené le président Biden a ordonné la destruction du ballon chinois considéré comme hostile. Un F-22 a alors procédé à sa destruction en vol le 4 février 2023.

La récupération des restes du ballon a donné lieu à une course contre la montre gagnée par la Navy, les forces américaines ayant anticipé la zone de chute potentielle des débris. L’analyse de ces derniers permet, outre une nouvelle campagne de communication au service du renseignement, de déterminer les types de capteurs utilisés et donc le type d’information recueillie et leur niveau de qualité (précision d’une optique/capacité d’interception électronique embarquée…). Le ballon est lui aussi analysé quant à sa capacité d’emport, son système de géolocalisation et de guidage par ajustement de l’altitude.

À noter que les services de renseignements américains avaient pris la précaution d’envoyer des avions espions reconnaître ce ballon espion chinois, notamment en matière de transmission des informations et au cas où les débris n’auraient pu être récupérés. À deux reprises au moins, des Lockheed U-2 « Dragon Lady » furtifs et dotés de capacités de renseignement électronique du plus haut niveau ont évolué à proximité de l’aérostat et ont collecté tout ce qui pouvait l’être.

L’absence de nouveaux ballons « météo » chinois dans le ciel américain laisse à penser que les autorités chinoises ont pris la pleine mesure de la détermination des autorités américaines de se prémunir contre ce mode d’espionnage à bas coût.

Dans la perspective de nouvelles intrusions de ballons, les forces armées américaines ont lancé des recherches visant non plus à détruire, mais à capturer le ballon avec sa charge électronique intacte. Cette volonté trouve sa motivation dans les difficultés techniques (limite d’altitude opérationnelle des vecteurs) et le coût de la destruction par tir de missile (AIM-9X Sidewinder à 250 000 dollars l’unité). De plus, les risques de dégâts causés par les débris limitent les fenêtres de tir, ce qui permet au ballon espion de continuer sa collecte de renseignements. L’agence du renseignement du département de la Défense des États-Unis en charge de la recherche et du développement des nouvelles technologies a présenté début août 2023 son programme CAPTURE (Capturing Aerial Payloads to Unleash Reliable Exploitation) qui doit doter à terme les forces aériennes américaines d’une capacité de capture des aérostats évoluant à très haute altitude. Cette volonté affichée de procéder à la capture des ballons espions en vue d’investigation s’avère cependant complexe.

Capture des ballons espions

Les choix opérationnels s’orienteraient vers l’utilisation d’un harpon qui percerait l’enveloppe du ballon tout en la capturant, ce qui permettrait de contrôler la descente en déployant un parachute adapté à la charge de l’ordre de 750 kg pour les prototypes à venir. Le ballon, ralenti par parachute, serait ensuite récupéré par un aéronef spécialement adapté sur le principe des C-130 utilisés lors de la période de la guerre froide pour recouvrer les bobines de films photographiques larguées par les satellites d’observation dans le cadre des opérations de renseignement. Reste cependant à gérer le risque de piégeage de la charge électronique et de l’activation d’un éventuel dispositif d’autodestruction visant à détruire l’aéronef. Ce dernier pouvant être activé à distance ou en mode automatique en cas de chute anormale du ballon avec comme déclencheur un accéléromètre ou un baromètre.

Plus récemment, les services de renseignement chinois ont déployé leurs ballons au-dessus de leur principal objectif à court terme, à savoir Taïwan. Des exemplaires sont régulièrement observés avec des périodes plus intenses en fonction des tensions politico-militaires constatées. Le ballon semble privilégié par les services chinois, car permettant un déni plausible de la tentative de captation de renseignements en prétextant qu’il s’agit d’un ballon météorologique classique. Cette posture est intenable si vous utilisez un drone. Autre facteur à prendre en compte : la volonté des forces chinoises de limiter l’exposition de leurs drones de dernière génération pour éviter une humiliation publique en cas de perte accidentelle ou faisant suite à une action cyber ou armée extérieure. Le non-emploi des drones chinois limite aussi drastiquement les possibilités d’action des forces taïwanaises appuyées par les spécialistes américains comme des tentatives de brouillage, de décodage des transmissions ou d’usurpation de l’identification du pilote visant à prendre le contrôle de l’appareil.

De manière plus générale, les ballons constituent un palliatif intéressant et surtout peu coûteux à la technologie spatiale. Ces satellites du pauvre ont donc un réel intérêt tactique, se déployant aisément par une équipe réduite pouvant agir en toute discrétion à partir de moyens de transport civils.

Les limites techniques des ballons militaires

La principale limite est inhérente à l’engin lui-même. Elle est causée par l’absence de moyens de propulsion qui restreint drastiquement leur mobilité et donc leur capacité d’adaptation lors d’une mission. Les modèles les plus sophistiqués peuvent ajuster leur altitude d’évolution à la baisse comme à la hausse ce qui leur permet de bénéficier des différents courants d’altitude ou courant-jet (jet-stream pour les anglicistes) et ainsi de modifier leur trajectoire initiale. À noter par ailleurs que c’est cette capacité d’ajustement de l’altitude qui permet de distinguer un aérostat à vocation militaire d’un ballon-sonde météo classique. La présence de panneaux solaires surdimensionnés, destinés à alimenter les capteurs et le système de transmission de données, confirmera les doutes éventuels.

Cette technique de navigation nécessite cependant une connaissance fine et actualisée en temps réel des conditions météorologiques ce qui requiert un accès à des données satellitaires. Le ballon a une durée de vie limitée du fait des conditions extrêmes en vigueur en très haute altitude. La récupération des différents capteurs embarqués est un enjeu majeur de contre-renseignement. Des dispositifs de parachute avec géolocalisation peuvent être installés afin de faciliter la récupération des équipements. La réutilisation des capteurs est sujette à caution du fait des contraintes subies lors de l’utilisation, de la chute et de l’atterrissage ou de l’amerrissage, car l’eau salée ne fait pas bon ménage avec l’électronique de pointe.

Quelles missions potentielles ?

Ainsi, les ballons sont particulièrement adaptés à la récupération de renseignements optiques ou électroniques via divers capteurs spécifiques. Les forces armées ukrainiennes les utilisent comme répétiteurs d’ondes pour frapper dans la profondeur du dispositif ennemi ; les Russes comme moyen de saturation des défenses radars ; les Chinois comme moyen d’espionnage low cost. L’utilisation en tant que vecteur de transport de brouilleur GPS, y compris largable, est envisageable tout comme vecteur de transport de dispositif de brouillage radio également largable.

Un usage comme vecteur de charge militaire classique est possible, mais peu efficace du fait de la faible capacité d’emport des ballons et de leur manque de précision, sauf à frapper des agglomérations de grande taille. Les forces ukrainiennes semblent cependant avoir recours à ce type de dispositif, documenté début avril 2024, pour frapper à peu de frais et en s’affranchissant des capacités de guerre électronique des Russes. La possibilité d’utilisation de ballons à charge incendiaire pour viser les cultures de céréales en Russie, un temps envisagé par les forces ukrainiennes a été abandonnée, car jugé contre-productif dans la mesure où, en cas de succès massif, il aurait pu être utilisé à des fins de propagande russe au Maghreb et en Afrique sur le thème « Les Ukrainiens vous affament ».

L’utilisation d’une charge militaire non conventionnelle — biologique, chimique, sale (radioactive) — serait potentiellement plus efficace. Le ballon devenant un bombardier capable de procéder au largage d‘un dispositif de dispersion d’agents pathogènes ou de matières radioactives. Il est évident que d’éventuelles recherches sur ce type d’utilisation ne sont pas documentées.

Enfin, d’autres usages militaires des aérostats sont employés, comme celui de vecteur de dispositif ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) à l’instar de l’Afghanistan, ou plus récemment pour la surveillance des frontières avec la Russie.

Depuis 2018, les différents groupes armés terroristes pro-palestiniens utilisent des ballons transportant une charge incendiaire. Plus de 4 000 hectares ont ainsi été incendiés en Israël. L’utilisation dépend bien sûr des conditions météorologiques et de l’aérologie. Les vents doivent être favorables et l’utilisation en période de sécheresse ou juste avant les récoltes permet de maximiser l’effet militaire de tels dispositifs. À noter que la majorité des terres situées à proximité de la bande de Gaza sont des cultures ou des parcs naturels où nombre de kibboutz sont habités. N’oublions pas que le feu a un impact psychologique très important sur la population civile. La lutte incendie nécessite la mise en œuvre de gros moyens matériels et humains qui, en cas d’attaque combinée avec des tirs de roquette, pourraient manquer ailleurs. Le faible coût de fabrication et la facilité de mise en œuvre font de ces dispositifs un parfait exemple de l’utilisation de la pyrotechnie en mode low-tech dans le cadre d’un conflit asymétrique. Leur efficacité réelle a d’ailleurs conduit Tsahal à systématiser les frappes de représailles en cas de lâcher de ballons incendiaires. Naftali Bennett, alors qu’il était Premier ministre d’Israël, avait ordonné aux forces armées de « tirer pour tuer » toute personne qui envoie de tels engins incendiaires sur le territoire d’Israël, et ce, malgré l’absence de perte civile ou militaire du fait de leur mise en œuvre.

De novembre 1944 à avril 1945, l’Empire japonais, acculé et sur la défensive, décida de porter le combat sur le sol américain en déployant plus de neuf mille ballons qui emportaient des charges militaires incendiaires. Seuls trois cents (effectivement retrouvés) à six cents (estimation incluant les ballons non retrouvés) d’entre eux arrivèrent aux États-Unis après environ trois jours de vol à 9 km d’altitude, déclenchant alors quelques incendies de forêt. À noter qu’un des ballons, par le plus pur des hasards, endommagea l’alimentation électrique d’un laboratoire de recherche du projet Manhattan (création de la bombe nucléaire). Un autre, tombé au sol, tua six personnes, dont cinq enfants. Ce furent les seules victimes civiles de toute la Seconde Guerre mondiale sur le sol américain.

Dans un premier temps, les autorités américaines pensèrent à un déploiement à proximité des côtes via des sous-marins, voire à une construction locale au sein de la diaspora japonaise. Mais l’analyse des sacs de lests contenant du sable permit de déterminer que les ballons provenaient bien du Japon (présence de débris biologiques spécifiques). Des découvertes de ballons ou d’éléments de ballons sur le sol américain s’étalèrent jusqu’en 1978, dont un avec les charges incendiaires encore actives en 1955.

Les forces nord-coréennes ont lancé en 2024 plus de cinq mille ballons en direction de la Corée du Sud. Ces derniers emportent divers déchets allant de piles usagées à des excréments d’animaux. Certains seraient équipés d’un système thermique qui les ferait exploser en altitude pour assurer une dispersion des déchets sur une plus grande surface. Un de ces ballons a été à l’origine de l’incendie d’un immeuble en Corée du Sud.

Les autorités nord-coréennes justifient leur action comme étant des représailles à l’envoi par des activistes pro-démocratie sud-coréens de ballons transportant des clefs USB avec de la musique et des séries sud-coréennes. L’efficacité réelle de cette stratégie nord-coréenne laisse perplexe vu les matériaux transportés. Cependant, l’utilisation potentielle de charges chimiques, biologiques ou radioactives pourrait changer drastiquement le niveau de risque. Autre possibilité, le largage de confettis d’aluminium pour saturer les radars sud-coréens.

La récente intrusion d’un ballon de surveillance chinois dans l’espace aérien nord-américain a déclenché une série d’événements mettant en lumière les capacités uniques des avions espions U-2 « Dragon Lady » de l’US Air Force. Les ballons chinois sont connus pour transporter divers capteurs, posant des défis uniques en matière de sécurité et de surveillance aérienne.

Les avions espions U-2 ont été déployés pour assurer un suivi du ballon de surveillance chinois à travers l’espace aérien des États-Unis et du Canada. Ils ont ainsi intercepté des communications et mené des opérations de guerre électronique, offrant une collecte de renseignements polyvalente. Une fois identifié comme une menace, le ballon a été abattu par un F-22 Raptor.

Le U-2 « Dragon Lady » n’est pas qu’un simple avion de reconnaissance. C’est un concentré de moyens d’espionnage volant. Capable de voler à des niveaux stratosphériques, il peut recueillir une multitude de renseignements grâce à des outils comme le SYERS-2 (Senior Year Electro-optical Reconnaissance System-2) et l’ASARS-2 (Advanced Synthetic Aperture Radar System-2), réalisant des tâches variées allant de la reconnaissance optique de haute précision à l’interception de signaux de communication et à la guerre électronique. Ces capacités multidimensionnelles confirment leur statut d’atout inestimable pour la sécurité nationale.

Le capteur SYERS-2C à dix bandes et haute résolution spatiale offre une capacité inégalée à trouver, suivre et évaluer des cibles mobiles et fixes.

L’ASARS-2 est un radar capable de détecter et de localiser avec précision des cibles au sol fixes et mobiles ; les informations sur la cible sont transmises via une liaison de données à large bande à une station au sol. Le radar est capable de produire des images à très haute résolution à longue portée.

La confrontation entre le ballon de surveillance chinois et les forces de défense aérienne américaines met en lumière l’importance cruciale et la pertinence des missions de reconnaissance telles qu’effectuées par les U-2 « Dragon Lady ».