Le 18 octobre, Yannick a effectué sa toute dernière présentation en tant que pilote de démonstration suisse du F/A-18 Hornet. Malgré une météo peu clémente, c’est avec une certaine émotion que le public, nombreux, a largement acclamé la prestation de ce pilote d’exception.
Du 17 au 19 octobre 2023, la présentation de l’armée suisse s’est déroulée sur le site d’Axalp. La journée du 17 a été consacrée à un entraînement, tandis que celle du 19 a malheureusement été annulée en raison de vents violents prévus au-dessus de 2 000 mètres. Lors de cet événement, RAIDSAviation a eu l’occasion de s’entretenir avec Yannick « Fönsi » Zanata, le pilote de démonstration du F/A-18C.
Axalp est un charmant village perché à 1 538 mètres d’altitude, situé à proximité de la commune de Brienz, dans le canton de Berne.
Les activités de démonstration se sont déroulées sur le champ de tir d’Ebenfluh, situé au sud du village, à une altitude de 2 240 mètres.
Un bref historique de ce champ de tir nous révèle qu’en 1942, ce site a été choisi pour l’entraînement des pilotes suisses aux techniques d’attaque au sol en raison du contexte européen de l’époque. Il s’est avéré idéal, étant proche de la base aérienne de Meiringen et offrant une vallée encaissée ainsi que des flancs de montagne qui permettaient de disposer de diverses cibles.
Au fil des années 1950, un poste d’observation a été aménagé et le lieu a régulièrement accueilli des exercices de tir (roquettes, canon) et des largages de bombes. Du biplan C-35 aux F/A-18C Hornet, en passant par les Hawker Hunter, Northrop F-5E et les Dassault Mirage III RS, l’ensemble de l’aviation militaire suisse a utilisé le champ de tir d’Ebenfluh.
La présence d’avions de forces aériennes étrangères sur le site est rare. On notera en 2006, pour la première fois, des Dassault Mirage F1CR français venus de Reims pour participer aux séances de tir au canon, ou encore l’année passée la venue de deux F-35A italiens pour une démonstration dynamique.
Au fil des ans, et avec le retrait des divers avions de chasse (Hunter, Mirage IIIRS, etc.), les passes de tir à la roquette et les largages de bombes ou de napalm ont disparu, de même que la session d’exercices prévue au printemps. Aujourd’hui, seule une période au début du mois d’octobre demeure au cours de laquelle les F/A-18C effectuent encore des passes de tir au canon sur les différentes cibles.
Depuis la création du site de tir, six accidents mortels ont été déplorés, dont un résultant d’une collision entre deux Venom DH-112.
Il est important de noter que les deux avions qui effectuent des passes de tir sont parfois très proches l’un de l’autre lors de la manoeuvre d’évasion après le tir sur les cibles.
Fönsi nous parle de cet exercice particulier : « Tout d’abord un point à préciser : l’air-sol n’est pas notre compétence principale pour l’armée suisse. On en fait un petit peu, surtout pour garder un minimum de savoir-faire, mais c’est une compétence que l’on a perdue avec le retrait du Hawker Hunter et que l’on va regagner avec le F-35. Pour le tir au canon, on a deux moyens de le faire à Axalp. On a d’abord une sorte de circuit géométrique et nous savons où la cible se trouve ; ensuite, on sait qu’à 4 miles on fait un virage de 20° puis à 2,5 miles, on lève le nez pour se positionner de trois quarts dos afin de ramener le nez sur la cible. C’est une technique que l’on peut utiliser n’importe où.
L’autre chose que l’on fait sur ce site concerne un circuit que l’on survole à travers les montagnes pour atteindre le target. C’est le plus dynamique, c’est ce qu’on peut voir pendant la démonstration. Les avions arrivent de tous les côtés et tout se vole à vue en regardant partout.
Pour ce qui est des paramètres de tirs, on tire à une vitesse d’environ 450 noeuds. Ça fait un petit moment que je n’ai pas été là-bas, mais si je me souviens bien, c’est ça. Pour une ressource qui est réussie, on doit tirer au minimum 5 g jusqu’à avoir 20° de nez haut [nose up]. Selon la façon dont on tire, on sera entre 5 et 7 g.
Les F-5 n’y participent plus, car on ne les emploie plus pour la défense. Ils sont principalement utilisés pour la Patrouille suisse et comme force “Red Air” [opposants dans les combats aériens/plastron].
Axalp et Forel, situé sur les rives du lac de Neuchâtel proche de Payerne, sont les deux sites de tir air-sol.
Pour les entraînements aux tirs air-air, nous avons le site de Dammastock où un avion tracte une cible ; ce n’est pas très éloigné d’Axalp. Il est arrivé que l’on aille tirer à l’étranger. Chaque fin d’année, vers le mois de novembre, on va en Angleterre. Précédemment, c’était en Norvège pour du vol de nuit intensif, car on n’a pas assez de plages d’entraînement en Suisse pour ce type de vol. Les avions partent pour quatre semaines et chaque pilote y va en général deux semaines. Autrement, on participe à de gros exercices de l’OTAN du style Tiger Meet, TLP [Tactical leadership program] ou ACE [Arctic Challenge]. Là-bas, on apprend à s’intégrer dans de grosses COMAO [Composite Air Operations] et des grandes manoeuvres aériennes. On essaye de participer à une ou deux campagnes par année. »
Après son instruction sur Pilatus PC-7 et PC-21, Yannick a obtenu ses ailes en 2013. Par la suite, il a intégré la 17e escadrille basée à Payerne où il a commencé à piloter le F/A-18. En 2019, il a eu l’honneur d’être sélectionné en tant que nouveau pilote de démonstration de l’armée suisse. À l’heure actuelle, Yannick exerce la fonction de pilote instructeur sur le F/A-18, accumulant un total de 1 000 heures aux commandes de cet avion, sur un ensemble de 2 000 heures de vol.
La vie de pilote de démonstration
« Être pilote de démonstration sur le Hornet, c’est une opportunité rare dans une carrière. Être au bon endroit au bon moment… Il y a plusieurs choses intéressantes dans ce job. D’abord, au niveau pilotage, on vole aux limites des capacités et en basse altitude avec une machine qui est en configuration lice, donc avec des performances incroyables. C’est une chance unique qu’on ne peut faire à aucun autre moment. C’est vraiment différent de ce que l’on fait tout le reste de l’année.
Une autre chose très sympa est de rencontrer beaucoup de gens sur les meetings tout l’été. On croise d’autres pilotes, on peut échanger et voir comment ça se passe dans les autres armées. La rencontre avec la population est aussi très importante. C’est souvent la seule occasion pour eux de voir évoluer un avion de chasse. Généralement, ils voient juste notre avion décoller et puis nous partons à haute altitude pour ensuite revenir et personne ne voit ce qu’on fait.
Ma période de pilote de démo dure cinq ans en tout, avec trois ans où je serai aux commandes de l’avion. L’année zéro, celle où j’ai été sélectionné, je vais accompagner le pilote de démo sur quelques displays à l’étranger pour comprendre l’organisation. Ensuite, l’année 1, je vais voler la démo et je serai suivi par le coach [ancien pilote démo]. On va commencer par un cours de deux semaines en début d’année pour apprendre à voler cette démo. Cela va débuter par des vols en simulateur pour appréhender les dimensions, comment les figures se placent, et puis on va gérer les pannes pendant une démonstration. Par la suite, je vais voler en biplace en haute altitude avec un plancher à 10 000 pieds et je vais apprendre les figures. Après, on va descendre à 1 500 pieds, toujours avec l’instructeur, où l’on va constater les performances que nous avons à basse altitude. Une fois cela fait, l’instructeur descend de l’avion et je débute à 500 pieds ; une fois que je me sens à l’aise, je descends à 300 pieds. En tout, c’est quatorze vols d’entraînement la première année. Ce n’est pas beaucoup, car il faut apprendre la démo par beau et mauvais temps. Du coup, j’ai un programme qui est volé en toute sécurité et qui ressemble à un display… Il n’est pas parfait, mais bien esthétiquement.
Si l’on compare avec d’autres armées comme avec les Français, ils font pratiquement deux mois de cours en perfectionnant au maximum toutes les figures alors que nous, on va peaufiner le programme au fil de la saison tout en augmentant notre expérience.
Avant chaque démo, je vais toujours voler un vol d’entraînement et j’essaie d’avoir une interruption limitée à maximum trois semaines pour garder la qualification. Je fais une quinzaine de démos dans l’année et j’arrive à couvrir la période sans devoir faire trop d’entraînements supplémentaires.
Une fois que j’aurai fait mes trois années de pilote de démo, je serai alors coach pour le futur pilote » À la fin de sa formation de pilote de démonstration et juste avant de commencer sa saison, Fönsi doit se soumettre à une journée cruciale au cours de laquelle il doit défendre et présenter son programme devant une commission d’évaluation. Celle-ci est composée de plusieurs membres, dont l’ancien pilote de démonstration, un représentant de la sécurité aérienne et des délégués de l’aviation civile suisse.
Le matin, la discussion se concentre principalement sur son programme et ses réactions en cas de pannes éventuelles. Il doit également mettre en avant les sites prévus pour ses démonstrations de l’année, en décrivant les défis liés aux obstacles et aux reliefs montagneux.
Il se peut que des ajustements soient nécessaires concernant les trajectoires de vol pour éviter de survoler des zones résidentielles ou de modifier l’altitude en raison de zones naturelles sensibles.
L’après-midi, Fönsi présente son show et, à la suite de sa performance, un débriefing complet est mené, portant sur l’aspect esthétique et toute amélioration ou modification potentielle. Si tout est en ordre et que le programme répond aux critères de sécurité et de réglementation, il reçoit l’approbation pour sa saison de démonstration.
Les caractéristiques du F/A-18
« Au début de la saison, lorsque je ne me suis pas encore beaucoup entraîné, le show fera douze minutes.
À la fin de la saison, avec le programme sous contrôle, j’arrive à descendre en dessous des dix minutes. Les figures sont plus serrées, j’utilise plus de puissance, ça évolue un petit peu.
Au niveau de la construction du programme, il y a des règles qui sont internationales et pratiquement identiques dans tous les pays. Les règles de base sont : altitude minimale de 300 pieds pour tout ce qui est de la voltige et de 200 pieds sol pour le passage rapide que je fais à la fin. Le programme, on se le passe de pilote de démo à pilote de démo et chacun fait de petites adaptations, plutôt esthétiques, mais pas de grande révolution dans les figures. La première année, je ferai quatorze vols d’entraînement et dix l’année suivante. Ça permet de s’exercer et de faire en sorte qu’il soit joli et surtout en toute sécurité, mais ce n’est pas assez pour développer à chaque fois un tout nouveau programme.
Le programme est assez varié avec des passages rapides, du vol lent. Pour les figures de voltige, j’évolue dans les 300-350 noeuds et souvent sous 6,5 g.
C’est une vitesse qui me permet de montrer les prises d’angle d’attaque que peut faire cet avion. C’est vraiment la particularité du F/A-18 : ne pas avoir de limite d’angle d’attaque. À cette vitesse-là, en tirant fort sur le manche, on arrive bien à cabrer l’avion rapidement.
La principale caractéristique, c’est de pouvoir faire des figures comme des “rudder roll”, des sortes de tonneaux barriqués. Je vais faire tourner l’avion aux pieds avec 35° d’angle d’attaque.
Il y a aussi des figures que seul le F/A-18 peut faire — à l’exception du F-22 ou certains avions russes avec leur poussée vectorielle — comme la “pirouette” qui est une sorte de vrille sauf que l’avion est tout le temps contrôlé et qu’il n’y a pas de décrochage. Pendant cette figure, je vais jusqu’à 60 voire 70° d’angle d’attaque.
Historiquement, c’est quelque chose que l’US Navy a introduit sur le F-14. En cas de menace dans le dos, ils avaient une manoeuvre pour pouvoir tourner rapidement le nez afin de le pointer pour attaquer ou se défendre. Lorsqu’ils sont passés aux F/A-18, ils ne pouvaient plus la faire et ça les a embêtés, car elle était vraiment intéressante en combat aérien. Ils sont allés trouver les ingénieurs et les ont convaincus à reprogrammer les commandes de vol pour permettre de nouveau la manoeuvre. Pour faire cette pirouette, je donne des inputs aux commandes. En gros, pleins pieds et plein manche avec une certaine plage de vitesse et d’angle d’attaque et l’avion comprend que le pilote veut faire la pirouette et tourner le nez ! Il va alors se débrouiller pour bouger les commandes de vol. Cette figure a été ajoutée dès que nous avons eu l’aménagement des commandes de vol qui nous offrait la capacité de ne plus avoir de limites d’angle d’attaque. J’ai trois pirouettes à mon programme qui sont placées une fois contre le public, une autre fois parallèle à celui-ci et une dernière fois pendant un “Immelmann” avec une demi-pirouette. C’est assez intéressant à regarder. Je ne pense pas que tous les pays qui volent sur Hornet font des pirouettes en démo.
Leurs avions n’ont peut-être pas la mise à jour nécessaire pour cela.
Il y a quelques passages au cours desquels je suis rapide, comme après le passage dos où je finis à 400 noeuds ; je suis à Mach 0,95 et là, je vais atteindre les 7,5 g. Je pourrais atteindre plus souvent ces g élevés, mais ce n’est pas vraiment ce que l’on veut montrer avec le F/A-18. On essaye essentiellement de signifier ce que les autres avions ne peuvent pas faire, à savoir cette prise d’angle d’attaque et pour cela, il faut le faire en étant un peu plus lent ».
Modernisation des F/A-18C
Les F/A-18C suisses ont connu une évolution significative depuis leur entrée en service en janvier 1997.
Les trente-quatre appareils commandés, comprenant vingt-six monoplaces et huit biplaces, ont été assemblés à Emmen par l’Entreprise suisse d’aéronautique et de systèmes.
Au fil des années, ces avions ont bénéficié de mises à jour importantes, notamment avec l’introduction d’un CIT (Combined Interrogator Transponder), un interrogateur de transpondeur permettant d’interagir avec les avions civils et militaires. De plus, des améliorations telles que l’intégration du Data-Link (liaison 16) ont été apportées pour renforcer les capacités de communication et de partage de données.
Le cockpit lui-même a été modernisé, avec le remplacement du clavier frontal par un écran tactile et les écrans de première génération ont également été remplacés par des écrans à cristaux liquides ou LCD de pointe.
Fönsi évoque sa monture : « Il nous reste encore trente F/A-18 et ils ont beaucoup évolué. Je n’ai pas connu la première version, mais on a fait de nombreuses transformations. Notre cockpit est pratiquement identique à ceux des Super Hornet. Pour ce qui est de nos capacités, il peut faire la même chose qu’un Rafale, qu’un avion de quatrième génération ou quatrième génération plus. Là où nous sommes un peu moins bons par contre, c’est au niveau de notre radar qui est plus ancien et donc toujours mécanique. Il sera moins performant qu’un avion équipé d’un radar AESA [Active Electronically Scanned Array ou radar à antenne active]. »
Les montagnes, un paramètre de vol supplémentaire
Fönsi revient sur sa démonstration sur le site spectaculaire d’Axalp : « Ce qui change à Axalp, c’est que l’altitude de référence est 7 400 pieds, ce qui est pas mal plus haut. L’avion va avoir de moins bonnes performances, donc les vitesses sont adaptées avec 40 noeuds plus élevés par rapport à une présentation à basse altitude.
L’autre point est que pour un show classique, j’ai normalement un axe à 230 mètres du public et toutes les figures se font généralement loin de lui. À Axalp, ceci est impossible, car j’ai des montagnes des deux côtés.
Du coup, pour certaines figures, je vais m’éloigner de la foule et pour d’autres, je vais passer derrière elle. On ne passe jamais au-dessus bien sûr, mais pour le 360°, je vais tourner autour. Ça, c’est une grosse différence.
D’habitude, on a un axe et l’on essaie de placer les figures pour que ce soit joli aux yeux des spectateurs.
Mais en fin de compte, au niveau de la sécurité, on peut les placer n’importe où. À Axalp, je dois bien réfléchir.
Par exemple, si je fais une pirouette, je vais la faire là où les vallées se croisent. Si j’avais un problème et que je devais sortir de la pirouette (parce que je suis trop bas ou qu’elle n’a pas tourné comme je veux), eh bien il faut qu’en sortant je ne me retrouve pas en face d’une montagne. C’est un paramètre supplémentaire. Normalement lors d’un airshow, je vais avoir la vitesse et l’altitude qui vont jouer puis le placement pour que ce soit joli, mais ça c’est secondaire. Ici, je vais avoir la vitesse, l’altitude et la position pour que ce soit fait en sécurité.
Bien entendu, il y a un autre changement lorsque je vole un show en basse altitude. Normalement, je suis en QFE [réglage altimétrique qui prend en compte la pression au sol au niveau de l’aérodrome], ce qui veut dire que mon altimètre va m’indiquer zéro lorsque je suis sur la piste. Donc j’aurai toujours mes points de référence qui seront aux mêmes altitudes. À Axalp, je ne peux pas mettre zéro à 7 000 pieds ; en conséquence, je vais voler en QNH [l’altimètre est réglé sur une pression de référence qui correspond à la pression moyenne au niveau de la mer] et je vais obtenir des altitudes tout à fait différentes pour mes points clés.
Cela va demander de bien se préparer mentalement avant d’aller voler pour savoir, par exemple en haut d’un looping, ce que je dois avoir comme altitude pour pouvoir le terminer. »
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Benoît Denet